Tu marcheras à genoux

« Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice ». (Albert Camus)

                                                                                                                                                 A l’ami Alain,

 Un soleil rouge larmoie entre les tours de Notre-Dame, on se croirait à Lourdes ; poussés par des bonnes sœurs à cornettes, les fauteuils roulants s’étirent en longue file sur le parvis de la cathédrale. Peu de tristesse marque les visages, juste de la fatigue. Cloués sur leurs sièges, les enfants aux jambes mortes sont résignés à ne plus gambader comme les autres gamins. Pourtant ils s’amusent, le regard émerveillé par les statues des saints et des gargouilles, ils font la fête. Je détourne les yeux. Je pense à ma petite Nina et à son gâteau d’anniversaire, je compte les six bougies qu’elle soufflera ce soir. Déjà ses grands yeux bleus m’interrogent : « Tu es rentré, papa, je t’aime si fort ». Je la soulève de terre, je la fais tournoyer au-dessus de ma tête ; Nina hurle de rire. Grâce à Dieu, notre fillette bondit comme un cabri du matin au soir. Ma femme Louise passera à l’increvable lutin la robe de princesse qu’elle a cousue dans les rêves de l’innocence, en plus elle lui offrira un sac d’élastiques en diamant pour tenir ses minis couettes. J’espère revenir au bercail à temps pour assister à cette scène de joie pure.

La sirène d’une voiture de police me ramène à la terrasse du Balto. « Garçon ! », je règle le café et me dirige vers le Palais de Justice. Les gens s’engouffrent dans le métro. Je regarde ma montre : il est sept heures moins dix, inutile de se presser le long de la Conciergerie. Pourtant, je sens mes jambes qui tricotent de nervosité. En faction, le planton m’observe de la guérite. Je lui montre ma carte. Il me jette un salut furtif. J’allonge le pas, le cœur battant la chamade en franchissant le porche en bois massif qui s’ouvre sur une cour carrée où des cocardes tricolores brillent derrière les pare-brises d’une demi-douzaine de 604 Peugeot noires rangées en épi. Formidable, j’en rêvais. Cinq années à fourbir mes armes au commissariat de Drancy, j’entre enfin dans la Mecque de la police. Je me sens fier d’avoir trente ans. Monsieur Simenon, aujourd’hui c’est au tour du commissaire Lucien Morel de prendre la suite de Jules Maigret au 36 Quai des Orfèvres.

Au cinquième étage, j’ai à peine le temps de poser mon sac dans un minuscule pigeonnier que le divisionnaire me convoque dans son bureau. Il est sept heures et quart. La lourde porte capitonnée s’entrouvre.

– Entre, mon petit…

Raoul Pellerin esquisse un vague geste de la main, inutile de s’asseoir, on n’a pas le temps de papoter. Tant mieux, j’ai des impatiences dans les jambes. J’en profite pour sautiller d’une semelle sur l’autre.

– Bonjour, monsieur le divisionnaire…

Ce grand flic aux formes rondes, un cigare dans le bec, ignore l’éloquence ; son franc-parler qui s’étale dans la presse populaire tranche avec les bonnes manières et la langue de bois des manitous de la PJ. De mon poste d’inspecteur de seconde zone au saint Graal du commissariat, Pellerin a suivi ma carrière d’un œil attentif. En quelques bons conseils, il est devenu une sorte de mentor bienveillant. Un gros ours bourru mais bon cœur. Il porte toujours des cravates old school à carreaux, et sa voix pointue m’évoque celle de Jacques Le Goff. Il ne fait pas de manières, mais je l’aime bien le vieux Pellerin. Il me rappelle mon père. Sans préliminaire, il balance bille en tête :

– Morel, t’aurait pas un cousin facho planqué dans ta famille ?

Drôle d’histoire, les « bœuf-carottes » auraient-ils découvert que mes parents sont communistes ? Et alors ?

– Des Morel, il y en a plein l’annuaire, monsieur le divisionnaire…

– Bon, vérifie que ce Jérôme Morel n’a aucun lien avec ta famille, s’il y a conflit d’intérêt, il sera impossible que l’affaire te soit confiée. Jérôme Morel, cet honorable antiquaire mitonne un braquage avec un complice, un certain Lebrun Guillaume. Ce sont deux vieux routiers de l’OAS aux casiers judiciaires plus épais que les biceps de Popeye. Qui sait si ces assoiffés de Vichy n’ont pas besoin de fonds pour ravaler la façade de leur boutique de plastiqueurs. En tous cas, ces petits Adolf préparent un gros coup. Morel, il faut agir vite et se pincer le nez, ça sent l’andouillette, tu ne t’imagines pas à quel point la politique pue la merde. J’ai parcouru tes états de service au commissariat de Drancy ; tu me fais penser à un personnage de cinéma, un sacré flic mais qui se la joue poète. A la PJ, on n’a pas le loisir de broder des polars, attention, l’affaire risque de s’emballer. L’attaque de la banque pourrait avoir lieu dès aujourd’hui, notre indic est formel sur l’état d’avancement des préparatifs. Voilà ses coordonnées.

Il me tend un papier, me dévisage puis replonge la tête dans son dossier. L’entretien est terminé.

Au sous-sol, je récupère le dossier de Lebrun dont l’armoire métallique précède par ordre alphabétique celle de Morel. Arrivé à Morel – J, comme Jérôme -, la curiosité l’emporte ; je pousse un peu plus loin dans le classement et je regarde si mes parents sont fichés. Même si la déontologie ne m’y autorise pas, je passe outre puisque ma famille est sur la sellette. Je trouve un dossier au nom de mon père (Georges Morel !). Un coup d’œil par-dessus l’épaule, je photocopie les pages pendant que le préposé me tourne le dos pour cacher son visage cramoisi de honte ; pendu au téléphone avec une matrone aussi irascible qu’une gorgone, il a du mal à en placer une. Et là, je découvre le pot au rose : mon père a écopé d’un mois de prison à Fresnes en août 1964 ! Condamné pour coups et blessures sur un commandant de CRS au cours d’une bagarre devant le siège du Parti communiste français avec des nervis d’extrême droite, il a purgé sa peine dans la même tôle et à la même date que Jérôme Morel ; il est noté, sans plus, qu’il aurait été tabassé dans les douches… Les deux hommes avaient un compte à régler depuis cette fameuse bagarre. Pas de parenté avec Jérôme le facho, mais un mois de passé commun derrière les barreaux. Un mois qui empeste comme une boule puante dans l’histoire familiale.

Pensif, je remonte dans mon pigeonnier.

En 1964, j’avais 14 ans. C’est bien la seule fois que nous ne sommes pas partis en vacances cet été-là avec nos parents. Ma sœur, mon frère et moi avons passé le mois d’août en colonie, à Tarnos dans les Landes. Je n’avais jamais saisi pourquoi il ne fallait pas que nous soyions témoins de ce chambardement. Du cinquième étage, je contemple la Seine. Les bateaux mouches ressemblent à des salles de cinéma vides ; la tête en bas, le monde bouge au ralenti. Les embouteillages vitrifient les quais. Les mouettes qui filent le long de la façade à toute vitesse me ramènent au Quai des Orfèvres. Je déballe mon sac. Dans le cadre d’argent, Nina tire une petite langue rose, blottie entre ma femme et moi, ça me fait marrer. Je pose la photo à côté du téléphone. Ma Louise, mon bureau est à toi, Lilou ma belle, ton sourire brille dans ma nouvelle tanière.

Feuilletant les photocopies, un détail m‘arrête. C’est bizarre que mon père n’ait pas demandé d’amnistie ni le blanchiment de son casier judiciaire. Trop fier pour solliciter une grâce présidentielle ? Une rixe qui l’a mené en taule pour la bonne cause, quelle belle aubaine, surtout pour papa qui ne ratait pas une occasion de claironner qu’il était le fer de lance des bolchevicks. Mais de là à se taire si longtemps. Que s’est-il vraiment passé avec l’autre ordure dans les douches ? Je crains le pire… Papa n’a-t-il jamais pensé qu’avoir un fils flic, son secret serait éventé un jour ou l’autre ?

Un peu comme tout le monde, je ne garde en mémoire que les récits légendaires dont ma famille fait son miel, j’ai même plutôt tendance à oublier les mauvais souvenirs. En une fraction de seconde, comme dans un rêve, je revois surgir les images de mon enfance.

Mes parents m’ont raconté cent fois l’histoire de leur rencontre. La Libération, la fête de l’Humanité, c’est là qu’est né le mythe fondateur de la famille Morel. Précisément…

A la fin du dernier concert, dans l’obscurité, ma mère plutôt mignonne cherche la tente qu’elle partage avec sa sœur Eliane. A l’époque, les jeunes gens en goguette campent dans les champs alentours. Un type la suit. Maman prend peur. Elle se réfugie dans la première guitoune venue, c’est celle de mon futur paternel. Il lui offre de rester là jusqu’au matin. Emerveillé, et ne souhaitant pas effrayer la jeune fille, il lui laisse sa tente et rejoint Henri, son copain de stalag qui a garé sa caravane à deux pas du campement. Avec deux costauds qui veillent sur elle, ma mère dort à poings fermés. Au matin, elle retrouve mon père qui lui apporte des croissants. Ils font connaissance. C’est le coup de foudre. A partir de là, très vite, ont débarqué ma sœur Solange et mon frère Roger, puis moi, le petit dernier, le « non prévu au programme ».

Dans tous les clans, le bonheur tant espéré se voit gâché par une kyrielle de trahisons. Dans ma famille, c’est de la faute du capitalisme et de l’ingratitude naturelle des enfants envers leurs parents. En bref, la banalité du mal frappe en traître les parents modèles.

Dès tout gamin, j’ai refusé de mettre mes pas dans les leurs. La dictature du prolétariat, cette escroquerie sanglante, me dégoûtait. Staline et l’Union soviétique étaient le cadet de mes soucis. Militer comme un petit robot, ça ne me disait rien qui vaille. Je passais mon temps à bouquiner. J’étais passionné de polars et d’illustrés de super héros. Je ne jurais que par Maigret et Superman. Mes vieux s’en sont aperçus mais trop tard. Et c’est un soir de janvier que ma vocation a déboulé sans rien demander à personne.

Je m’appelle Lucien Morel, dit « Lulu ». J’ai treize ans. J’habite 26 allée des Tilleuls, à Aulnay-Sous-Bois. Mon meilleur ami c’est Georges Pasquier. Depuis la 6ème, on refait le monde. Après les cours, avec les potes, on chambre nos familles. Je suis intarissable :

– Il y a France-Pologne ce soir à la télé. Je parie que mon père va pronostiquer 2-0 pour les Polaks, il répète tout ce qu’il lit dans l’Huma ».

Nos copines écoutent en silence. Nadine se dandine, Myriam se refait une beauté dans son miroir de poche. Georges est pressé de rentrer. Il m’enfonce son doigt dans l’épaule :

– Tu ne crois pas que tu exagères un peu ?

– Je ne mens pas. J’en suis certain.

L’Huma c’est la bible de mon père. Il le lit tous les jours. Même qu’il le vend à ses copains de boulot et que certains numéros, il les collectionne dans un grand carton à dessins. Avant le match, papa rugit : « Kopa joue contre ses frères ? Et alors ? Au final, ça fera 2-0 pour la Pologne ! » C’est la conclusion de l’Huma ! Pas mécontent de lui, papa siffle cul sec un verre de vodka. Le socialisme tue Maïakovski, un poète russe, mais papa boit à la santé de leurs complices de Varsovie.

Communisme, ça rime avec mimétisme, normal qu’un Panurge rouge inspire le design de notre salle à manger. Par hasard papa est tombé sur l’intérieur d’une datcha photographiée dans les pages « Culture » de Pif le chien Magazine. Il s’emballe, il tient tribune : « Regardez l’avenir, les enfants, rêvons aux lendemains ». Il se pavane. Ebéniste de formation, il garantit de pouvoir reproduire ce petit paradis à l’identique. Grand démocrate devant l’Eternel, il organise un vote. C’est son côté utopiste et naïf que j’aime bien, finalement. Prudents, mon frère et ma sœur s’abstiennent. Maman est conquise. Je proteste. On balaye mes objections. Le bureau politique restreint donne le feu vert au chantier. (Attention, le magnétophone tourne, tout ce que vous direz se retournera contre vous. Alors tout le monde la boucle). Sur du papier peint jaune, des cubes noirs et des spoutniks rouges se ressemblent et se suivent comme des moutons moscovites atteints par la maladie du charbon. Sous des lustres en cristal déglingués, récupérés à la décharge en fin de brocante, notre séjour ressemble au Versailles futuriste d’un savant fou. D’ailleurs, ils sont tous cinglés au Parti. Je déteste notre salle à manger. Le match commence. D’autorité, papa insulte l’arbitre avant de se jeter sur les olives.

A la maison, la bouffe fait l’unanimité. On anticipe les menus. De la marinade de choux ou du jambon purée ? Des saucisses de Strasbourg ou de la tête de veau sauce gribiche ? J’ai toujours les crocs. Ma mère dit : « C’est la croissance, ça va passer ». Elle s’y connaît, ma mère, elle est surveillante à la cantine du lycée Maurice Ravel à Aulnay. Elle récupère en cuisine tout ce qu’elle peut. Le soir, elle rapporte un cabas rempli de provisions. Parfois deux. Quand elle est chargée comme une mule, je la soulage : « Donne, maman, c’est lourd ». Elle aime que je m’occupe d’elle. Les autres, les bolchéviks, ne se bousculent pas pour lui prêter main-forte. Ces petits frimeurs me font pitié.

Entrée, viande, légumes, salade, fromage et dessert, qui dit bonne bouffe, dit gros déchets. Si les Popofs nous voyaient nous empiffrer, ils se convertiraient au capitalisme. Cinq gloutons prospèrent dans notre pavillon, la dernière maison à gauche au fond de l’allée, dont quatre buveurs à la réputation solidement ancrée dans le quartier. Moi, je siphonne en douce les bouteilles de vin du Rocher, le velours de l’estomac.

Cette semaine, les Morel jettent une tonne de nourriture à la poubelle. Grossièrement parlant, on a gobé une enclume de victuailles et raclé les fonds de casseroles avec une pile d’albums de Batman. Ils clochardisaient dans la cave. Mon père les a découvert en cherchant une pince. Assaisonnés à la sauce bolognaise, les illustrés plombent le sac plastique. La poubelle est pleine à craquer.

« Plus dégueulasse qu’un bébé dans une poubelle ? Hein ? Un bébé dans deux poubelles. T’as entendu Lulu ? » Je reste sourd au calcul macabre de mon frère. Il veut faire le malin. Il n’a même pas son certificat d’étude. Sans blague, il compte encore sur ses doigts. Je me lève de table, je fais bande à part. Je répète en boucle dans ma tête « Les cocos à Moscou » ! Je me vautre dans un fauteuil. Ni vu ni connu, je plonge dans mon polar. Je préfère la morale petite-bourgeoise de Simenon au crétinisme ambiant : « La Chambre bleue », une histoire efficace et rapide comme dans le film que j’ai vu à l’Etoile rouge, le cinéma du quartier.

Papa m’intime l’ordre de déguerpir du fauteuil club. « Dégage » ! Il lève un doigt menaçant : « T’aurais pas quelque chose d’urgent à faire ? » Papa tape du poing sur la table : « Lulu, dehors  » ! Quand papa a un p’tit coup dans le nez les soirs de match, il ne faut pas le contrarier. Et puis cela ne dure pas, juste le temps que les vapeurs d’alcool rendent leur douceur à ses yeux noisette. Mon frère ricane et ma sœur glousse comme une poule. Si je comprends bien, on m’invite à rejoindre la douce compagnie de ma mère. Je me lève et sors du living, la tête haute, au pas du légionnaire  « Tiens, t’auras du boudin »…

Seule dans la cuisine, maman fait la vaisselle. Elle non plus n’a pas la bosse des maths. Tenir les comptes du ménage, ça lui suffit. C’est une femme simple, intelligente par nature. Pour l’embêter, je lui demande : « ça fait combien 3 564 897 623 divisé par 4590 ? », elle me file un coup de torchon sur la tête.

– Crétin, va vider les ordures !

– J’en ai marre, c’est toujours moi.

– Sans discussion, oust ! Termine ton devoir !

Je lui dépose un bisou sur l’épaule. Je ne suis pas rancunier.

– T’énerve pas, m’ man.

Je sors en claquant la porte. Faut bien rigoler quand on aime la littérature autant que sa mère, non ? J’avance en donnant des coups de pieds dans la poubelle. Pester, c’est de mon âge. L’égalité chez les communistes, tu parles Charles, on ne me la fait pas. D’abord, pourquoi c’est moi qui fais toujours les corvées ? Personne ne bouge ses fesses dans cette maison. Commençons par ma sœur. Il faut la voir, la Solange, des mèches de chienne mouillée qui masquent des yeux ronds, le look d’une paysanne en habit de comtesse ruinée, elle a la bouche dure, enfin, pas pour tout le monde. On la devine penser : « Les hommes sont des salauds, je n’y suis pour rien si on snobe mes rondeurs. Manants, bouseux, bourgeois, baisez-moi de la cheville à la tête. A titre d’indemnités, je me laisse faire ».

Elle ne fiche plus rien à la maison, la bougresse, depuis qu’elle a un fiancé, le André, une grande seringue avec une douzaine de pistons rouges sur chaque joue, le regard aussi absent qu’un horizon lointain, la main qui arrache ce qu’on lui donne, et qui fait des courbettes de loufiat à la laisse-moi encore te peloter ma chérie. Déjà qu’elle n’en foutait pas une ramée, la Solange. Voilà qu’elle se maquille même avant de se coucher. Madame porte des talons girafes pour observer sa petite cour animalière. Je parie qu’elle met des culottes transparentes pour que les cochons regardent son jardin. Elle empeste la cocotte !

Mon frère Roger, lui, il travaille, alors le soir, pardi, il est crevé. Tu parles d’un enfer, il persille de prospectus les boîtes aux lettres près de la gare d’Aulnay ; le reste de la réclame, il le balance dans le caniveau. Je le sais, je l’ai vu. Il traîne ses plis avachis autour d’une bouche amère, sillonnée de rictus et de rires forcés, le nez allongé qui tire vers les chaussures, le regard franc d’un gars paumé dans une cité grouillante de voyous en blousons noirs. On dirait que dans sa tête, il y a des corbeaux qui sautillent en attendant qu’une fée les délivre d’un méchant maléfice. Il a le cœur fragile par jour de vent. C’est peut-être pour ça qu’au fond, je l’aime bien.

Mes vieux, après le 20 heures, il ne faut plus compter sur eux. Les seigneurs de la lutte des classes prennent le droit bien mérité de se prélasser sur la banquette. Je les plains mais je les admire de se dépenser sans compter, ça me rassure. En plus de la cantine du bahut, ma mère fait des ménages et garde des enfants. Mon père est chauffeur d’autobus à la RATP. Il fait les 3X8. En tant que patron de la CGT, il remonte les bretelles même aux chefs. Il est aussi le secrétaire de la cellule. Quand il travaille de nuit, ma mère le remplace au Parti. Mes vieux courent d’une réunion et d’un meeting à l’autre. Alors, trois fois par semaine, après le dîner, c’est moi, l’esclave qui sort vider la poubelle. Je lace mes godillots et j’enfile ma pelisse. Sur le perron, je regarde toujours si madame Louison, notre vieille voisine, est bien rentrée.

Et puis, je m’en fous. Il fait frisquet dehors ce soir. Je sifflote l’Internationale. Toute l’allée campe devant la télé. J’entends des chiens de bourgeois qui aboient « Allez la France ». Je tends l’oreille : Mamie Louison, notre bonne voisine conseille à son chat Lucifer de ne pas perdre ses poils : « Un coup d’aspirateur et minou va aller se coucher ». Refaire le monde et au retour, fumer une P4 mal roulée en imaginant l’Inde aux mille parfums à l’ombre des tilleuls de l’allée, ça m’aidera à oublier la puanteur de la poubelle.

Bordée de tilleuls, l’allée court sur une centaine de mètres jusqu’au carrefour avec la rue des Primevères. C’est là, dans des bennes en fer rouillé que les gens du quartier vident leurs ordures. Les soirs d’avril, des nuages noirs poussent une pointe dans le ciel. Les réverbères jettent une maigre lumière sur la chaussée détrempée par les averses de l’après-midi, comme dirait mon prof de français. Ca ressemble à la peau grasse et luisante d’un ténia malade, pour sûr, il y a de la bave partout, on glisse dessus comme des ombres derrière un rideau.

Ma famille crèche dans l’allée des Tilleuls depuis que je suis né. Je connais tout le monde dans chaque pavillon. Y’a les copains de papa chez qui on prend l’apéro le dimanche, et leurs conasses de bonnes femmes que maman peut pas piffrer, et puis les Croates qui viennent de s’installer en face de chez le prof de gym, juste dans le tournant. Leurs gamins sont nos ennemis. A la moindre occasion, on leur met la pâtée au foot. Il n’y a que Svetlana, leur fille, que j’aime bien. Les autres voisins, on leur dit bonjour, comme ci comme ça, on oublie d’être poli. A la nuit tombée, les chats de l’allée forment leur petite société. Je me dis en traînant la poubelle que j’aime mieux les matous que les humains. Salut Grisette, tu cherches Blanchard ? Miaou ! Rentrez dans vos maisons, ça caille ce soir…

Je marche sans me presser. Je dois rendre ma rédaction demain. Le prof a dit, sans faute ou ça va barder. Ensuite, Il a dicté : « Vous sortez fraîchement émoulu de l’école de police. Le commissaire vous remet votre insigne et votre arme de service. Racontez votre première ronde en solo dans le quartier ». Le prof a dû nous traduire le début du texte, « fraichement émoulu », même Tifs-en-brosse, le premier de la classe n’imprimait pas. Le sujet me plait. Un flic avec un pétard, ça me fait rêver. J’ai rien contre les condés. J’en ai un peu peur, c’est tout. Mes parents disent qu’ils sont là pour nous protéger, même si j’ai entendu mon père bramer : « C’est quand t’as besoin d’un poulet que t’en trouves jamais. Tas de feignants ».

Mon copain Georges Pasquier, il a de la chance, son père est brigadier. Pour un flic, il est gentil, une gueule sympa avec une fossette au menton. Il m’offre toujours du gâteau et de la limonade. En regardant sa matraque, un jour, je lui demande : «  Vous avez déjà tapé ? ». Il se met à rigoler, alors, on prend un fou rire à se tordre les côtes parterre. Un autre jour, avant de filer dans un fourgon, « le panier à salade » comme ils disent, il m’a donné un sifflet. Je le garde toujours dans ma poche. Quand je sors vider la poubelle, j’embarque aussi mon Opinel. On ne sait jamais…

Merde, c’est quoi, ça ? On dirait qu’un type trimballe un cadavre sur son épaule comme un sac de patates. Oh là, il ouvre la benne. Il jette le corps dedans ! Ca fait un gros bruit mat. Pouf ! J’y crois pas. Il s’est débarrassé d’un macchabé, c’est sûr. J’ai pas la berlue. A l’assassin ! Je sors mon sifflet et je me mets à siffler comme un taré. Le tueur a les yeux qui lui sortent de la tête. Il regarde partout, affolé. Il a les jetons. Il me fixe méchamment. Je me fais tout petit derrière un arbre. Les chiens de l’allée commencent à hurler. Ceux du quartier s’y mettent aussi. Le type tourne la tête dans tous les sens. On dirait un lémurien cerné par des alligators. Il hésite à foncer sur moi. Effrayés, deux matous cachés sous une 2CV foncent dans mes jambes. Tous poils dressés, ils me crachent dessus. J’ai la moelle épinière qui court-circuite. Le trouillomètre à zéro, j’en laisse tomber ma poubelle. Toute la bouillasse puante se déverse sur la chaussée. J’ai la tremblante du mouton. Je ne sens plus mes guiboles. Devant ce spectacle répugnant, le sale type fait demi-tour.

Il cavale en direction du square Gambetta. Il détale. J’ai gagné. J’ai le dessus. Sa débâcle me donne des ailles. Je lui cours au train en sifflant à perdre haleine. Et là, miracle. Voilà qu’une DS noire déboule à toute vitesse. Trois mastards en imper mastic s’en éjectent. Ils se jettent sur lui. Le salaud est à peine plaqué au sol qu’ils lui balancent un bourre-pif. Son nez éclate, il pisse le sang. Les civils le ramassent et le collent contre le mur. Ils le fouillent. Et devinez ce qu’ils trouvent ? Un calibre ! Sans blague. Je m’approche pour voir comment ils vont le cuisiner. Alors le mec se met à beugler qu’il est, lui aussi, un poulet. Il rentrait chez lui, sa femme l’a obligé à passer par les bennes, histoire de virer le vieux tapis qui poireautait dans le couloir depuis des semaines. Elle en avait marre. Il n’a pas eu le temps de laisser son flingue au vestiaire. Sa carte de police est dans son portefeuille, ils n’ont qu’à vérifier. Pendant ce temps, le conducteur de la DS va jeter un œil aux conteneurs. Dedans, il y a un tapis, pas de cadavre roulé à l’intérieur, et le suspect, c’est un vrai policier. Je sens que ça va barder pour mon matricule.

– Viens là, petit, m’ordonne Montagne-à-moustaches. Qu’est-ce que tu fais dans la rue à cette heure ? Tu nous racontes pourquoi tout ce grabuge ? C’est à toi ce sifflet ?

– Ben, j’ai vu le monsieur qui a jeté le mort dans la benne. Moi, j’allais vider ma poubelle. Comme il a déguerpi à toute vitesse, sûr qu’il est coupable, je me suis dit.

– T’as de l’imagination, morveux, dit Montagne-à-bourre-pif. Mais à cause de toi, on a cassé le nez d’un collègue. Tes parents vont payer l’hôpital. T’habites où ?

– Non, m’sieur, pas mes parents. Mon père va me tuer !

– Donne-moi ton sifflet. Mais c’est un sifflet de flic, ça. Tu le tiens d’où ?

– C’est moi qui lui ai donné. Je connais Lucien, c’est un copain de mon fils. Ils vont au lycée ensemble, il habite au fond de l’allée, a dit le brigadier Pasquier

Dans l’ombre, je ne l’avais pas reconnu. Mais là, sous le réverbère, avec sa fossette au menton, tout est clair. Il pose sa grosse patte sur mon épaule :

– T’as du cran mon gars. Il en faut pour courir après un criminel. Si c’en avait été un, il aurait pu te faire du mal. Tu comprends ? La prochaine fois, quand tu es témoin d’un meurtre, dis à tes parents qu’ils nous appellent. Rentre chez toi maintenant. Ta maman va s’inquiéter.

Avant de retourner à la maison, je ramasse les ordures comme je peux. Je balance le tout dans la benne rouillée. Arrachés à leur télé par les coups de sifflet, les courageux qui n’ont pas bougé le petit doigt, se penchent à leurs fenêtres. Fier comme un pigeon, je passe devant les voisins en bombant le torse. Même que la belle Françoise Bordier qui me snobe parce que son père est chef d’atelier chez Citroën, me lance un baiser du bout des doigts. Ce serait tellement chouette si on jouait aux amoureux… Faudra se cacher parce que le père Bordier, plus jaune que lui, t’es un citron. Le dimanche matin, quand il sort de l’église avec sa cul-bénit de moitié, faut voir comment il regarde de travers mon dab’ qui vend l’Huma sur le marché. Un jour, pour sûr, ça va saigner !

La tête en feu, je grimpe les marches du perron quatre à quatre. Je rentre à la maison en claquant la porte. Dans la salle à manger, vautrés devant leur match de foot, la télé à fond, les Morel n’ont rien entendu. Il y a juste ma mère, qui au passage, me met un coup de torchon sur la tête.

– Tu trainais où, l’artiste, t’aurais pas à faire, des fois ? qu’elle demande.

Alors je saute dans ma chambre, et d’un jet, j’écris ma rédaction. Le sujet m’enflamme. C’est l’histoire d’un méchant qui butte l’amant de sa femme. Il roule le mort dans un tapis et le jette dans une poubelle. Manque de chance pour lui, de patrouille dans le quartier, je le repère. Je siffle pour appeler des renforts. Une douzaine de collègues déboulent. Course poursuite avec des chiens. Ca défouraille dans tous les coins. Planqué dans l’ombre, je fais un croche-patte au fumier. Il tombe salement. Mais il a le temps de me balancer un coup de savate, mon révolver disparaît dans la bouche d’égout. Je lui mets mon opinel sous la gorge, juste assez fort pour lui faire croire que je peux l’égorger comme un cochon. Il ne bouge plus, l’animal. On l’arrête. Je lui passe les bracelets. On l’embarque. Grâce à moi. Au péril de ma vie. Le brigadier me félicite. Moustaches, Bourre-pif et toutes les Montagnes du commissariat me serrent la main. Je suis leur ami, leur frère. On jette l’assassin en prison. A son procès, je fais un discours éloquent. J’appelle les citoyens à défendre leur tranquillité contre la racaille. Il est condamné. On va le guillotiner. Le président de la République va me décorer. Sur les marches du Palais de justice, la fille de l’assassin me rejoint. Elle ressemble à Françoise Bordier. Nous tombons amoureux, bien qu’elle se sente coupable de trahir son père. C’est cornélien en diable, j’adore…

Comme quoi, une vocation tient à peu de chose. Il y a un mois, en cherchant dans la cave des photographies de mon enfance – j’avais promis à Louise de les retrouver – j’ai mis la main sur mon vieux sifflet – il a rouillé – et sur la fameuse rédaction jaunie au fond d’un carton de déménagement. D’une écriture en pattes de mouche, j’avais rempli huit pages. Un exploit pour un élève qualifié de dissipé, sinon de médiocre, à la limite du cancre.

Je me revois à cet âge, la bouille ronde, mi bébé lune, mi poisson-chat, un petit menton volontaire, le regard qui pétille comme une bouteille de Pschitt. Banlieusard en short long et godillots, titi candide, je suis penché au-dessus du bureau de monsieur Fleury, mon professeur de français. Il me prie de rester quelques instants après la classe. Sur le pas de la porte, avant de sortir, Georges Pasquier brandit le V de la victoire. Je lui réponds par un doigt d’honneur, bien qu’au fond, je ressemble plus à une étoile d’argent posée sur la tête d’un cygne qu’à un loulou.

– J’ai corrigé vos rédactions pendant l’interrogation écrite. J’ai relu plusieurs fois ta copie, Lucien, tu m’as surpris. Si j’avais su… que tu savais écrire. Jusqu’à présent, ta prose était plutôt quelconque. Personne ne t’a aidé, au moins ?

– Non, m’sieur, je le jure.

– Je serais en colère d’apprendre qu’une grande personne t’a tenu la main. Bon, venons-en à ton devoir. Je réserve 20 au bon Dieu, je garde le 19 pour le professeur et je donne 18 au meilleur élève. Mais cette fois, en espérant qu’il ne s’agit pas d’un coup de chance, comme j’ai envie de te noter au-delà de 20, je fais une entorse à mes habitudes. Je te gratifie de la note suprême : 20 sur 20 !

Il tourne sa bouche gondolée et se laisse aller à me sourire. Son regard brille. Pour peu, je lui ferais la bise. Je reste coi, rougissant. J’articule un timide « merci m’sieur». Je cherche des mots qui ne viennent pas. Il me tire de l’embarras.

– Avec ton style de Chandler à la française, sortant ton opinel au lieu d’un 9mm, tu fais tourner la roue du destin. Tu y mets de l’audace, un valet, une dame de cœur et de l’humour. Voilà une nouvelle de cape et de canif, de la dentelle de mousquetaire au ketchup, même si je ne bois pas de scotch mais de l’armagnac. J’ai combattu aux côtés des Anglo-Américains pendant la guerre. Ils m’ont fait découvrir leurs romans policiers. Mon nom de famille est Fleury de Grazillac. Parole de gascon, tu as l’étoffe d’un écrivain, mon garçon.

Confidence pour confidence, je ne vois pas le rapport avec les crêpes à la chandeleur, mais au ton, je devine que j’ai mis monsieur Fleury dans ma poche. Je balbutie :

– Merci beaucoup monsieur Fleury…

Heureux, il s’adosse à la chaise et rectifie son nœud papillon. Vieille France pince-sans-rire, des verres de lunettes épaisses comme le Palais des glaces à la Foire du Trône, cheveux gominés qui portent la trace d’un cerclage de tonneau quand il retire son feutre mou, je découvre que mon prof de français est un fana du polar américain. Sur ma copie tombée de la lune, monsieur Fleury a planté la bannière étoilée des romanciers yankees. Béni soit le jour de ma Libération !

Monsieur Fleury retire ses lunettes et me fixe de ses yeux de myope. D’émotion, il se racle la gorge.

– Qu’est-ce que tu veux faire plus tard, Lucien ?

J’ai bien envie de lui répondre « auteur de romans policiers », je suis sûr que ça lui ferait plaisir et qu’un peu de fayottage ne me nuirait pas, pourtant je reste honnête :

– Commissaire de police, monsieur.

– Hum, hum. Il faut faire de sérieuses études de droit, passer des concours. Si tu t’accroches, tu peux y arriver. Moi aussi, j’ai hésité entre l’armée et la littérature, mais la guerre et son cortège d’horreurs m’ont dissuadé de poursuivre dans la voie de la violence. En revanche, mon frère poursuit une belle carrière dans la gendarmerie. Comme quoi, tout est une question de caractère. Bref, d’ici ton baccalauréat, tu peux compter sur mon aide. En attendant, je t’encourage à écrire et à continuer de lire. Sur ce, il me serre la main et me rend ma liberté.

Le téléphone hurle sur le bureau. Je décroche aussi sec.

– T’es sourd ou quoi, Morel, ça fait au moins un quart d’heure que je te sonne ?

– Désolé patron, j’attendais notre balance au troquet du coin. L’enfoiré m’a posé un lapin…

Oui, moi aussi je peux mentir comme les arracheurs de dents.

– Tu prends deux gars avec toi et vous sautez dans une bagnole. Le commissariat d’Aulnay nous signale un casse à la Poste. C’est ton bled. En plus, le signalement des braqueurs correspond à nos fachos. T’évites que le sang coule. Tu me ramènes ces deux salopards. Au galop, Morel !

Le temps que les motards brisent la glace des embouteillages, on file sur l’autoroute à tombeau ouvert. Par la radio, je joins le commissaire d’Aulnay, un dénommé Fouché. En d’autres circonstances, ça m’aurait fait sourire.

– Commissaire Morel de la PJ, vous en êtes où avec le braquage ?

– Les deux gars ont défouraillé en sortant de la Poste. Pas de blessé mais on leur a laissé du champ pour éviter le carnage. Ils nous promènent : Villepinte, Livry-Gargan, Drancy… Là, ils viennent de tourner et rentrent à nouveau dans Aulnay.

– Précisément où ?

– Ils prennent l’avenue Jacques Duclos…

– OK, on sera là dans une minute !

Je fais signe aux motards de nous suivre, notre voiture se glisse derrière celle des fuyards. On est si près d’eux que je peux voir la gueule de ces fumiers dans leurs rétroviseurs latéraux. Le grand Morel au crâne rasé et le petit Lebrun à la tonsure de moine. Ces pourris ont dû en faire baver à mon père en prison, ça va être leur fête ! Ils se dirigent vers le square Gambetta, ils prennent l’avenue des Primevères à contre-sens. Je me mets à prier pour qu’ils tournent dans l’allée des Tilleuls s’ils croient trouver un raccourci, c’est courant de s’embarquer dans ce cul-de-sac quand on ne connaît pas le quartier. Bingo !! Ces crétins déboulent dans la nasse. Je m’éjecte de la voiture alors qu’ils sont en train d’escalader les grilles du pavillon de madame Louison. Je hurle les sommations plus vite qu’un chat attrape une souris. Les gars tentent de sortir leurs flingues. Je les crucifie sur les grilles en leur logeant une balle de gros calibre dans chaque genou.

Finie la rigolade. Si un jour ils vont en pèlerinage à Lourdes, ce sera en fauteuil roulant ! T’inquiète papa, quand je vois rouge, c’est pour la bonne cause… Inutile d’attendre les ambulances, les lascars sont emmenés sous bonne escorte à l’hôpital. Le commissaire Fouché me serre la pince :

– Pour un Pierrot lunaire à ce que disent les collègues de Drancy, tu as la gâchette facile Morel.

– Normal, j’ai lu tous les bouquins d’Albert Camus.

Comme il ne doit pas connaître l’auteur de l’Etranger, il opine bêtement du chef. Je le laisse à son ignorance. Avant de monter dans mon véhicule, je lui lance :

– Envoie-moi ton rapport. Je prends la suite.

En remontant l’allée des Tilleuls, je pense à la photo qui trône sur mon bureau, prise cet été en vacances, Louise, Nina et moi passons nos têtes dans les trous d’une palissade sur laquelle sont peints des robes d’époque, des coiffes bretonnes et un costume noir avec un chapeau rond. Papa maman, vous pouvez compter sur moi pour que les deux fachos qui vous ont fait du mal mettent leurs cous dans la lunette. Sur la planche de la guillotine, ce ne sera pas la peine de leur déplier les genoux.

Avant de rendre mon rapport à Pellerin, je m’accorde le droit de musarder encore quelques instants. La Seine déballe une palette de gri, d’ocres et de carmins charriés par les eaux boueuses. Le Louvre qui en a vu d’autres prend un bain de soleil. Au carrefour, un coup de vent soulève une casquette et un jupon au loin. Comme un lundi, le peuple de Paris trottine, s’accroche aux arrêts d’autobus ou s’engouffre dans les bouches du métro.

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